'Les ombres errantes' (2002) de Pascal Quignard : l'utilité exubérante des choses inutiles (extrait)

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Premier volume du Dernier royaume (qui en est à son dixième), Les Ombres errantes est paru chez Grasset en 2002.


Les arbres qui ne peuvent pas être utilisés par les porteurs de lances, par les fabricants de palissades, par les fabricants de chariots, par les luthiers, par les fabricants de barques, connaissent l’utilité exubérante des choses inutiles. Dans leur ombre se réfugiaient Virgile, la fraîcheur du printemps, les abeilles qui vous importunent, ceux qui ne font rien, les lettres, ceux qui se touchent quand ils ont un peu bu, les morts, les fruits, les enfants, les grenouilles, les escargots, les arts, moi, vous.


La répétition du mot « fabricants », trois fois, et la phrase qui se termine sur cette expression d’une justesse désarmante, comme souvent chez Quignard : « l’utilité exubérante des choses inutiles ».

Et puis l’énumération, Virgile (avec lui Les Bucoliques et Les Géorgiques), le printemps, les oisifs, l’érotisme, les fruits à même l’arbre, les enfants et surtout, le mot qui me touche particulièrement ici, « les escargots » (beauté de leur évocation dans les poèmes de Ritsos et de Issa).


L’Annonciation de Francesco Del Cossa (1470), détail

Au sein de l’énumération, c’est étrange, « les lettres ». Lesquelles ? Celles que l’on s’écrit les uns les autres ou « les lettres » au sens de la littérature, qui serait de ce monde-là, de ces arbres-là, de cette forêt d’abeilles, de fraîcheur, d’oisiveté, d’enfance, d’ivresse, d’érotisme, de mort, d’escargots et d’inutile, d’une utilité exubérante.  


La Bête (1975), film de Walerian Borowczyk

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