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‘David Copperfield’ (1849-50) de Charles Dickens et ‘Construire une maison’ (1906) de Jack London : habiter dans un bateau

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Crédit : photo de l'auteur Dans le souvenir de nos bibliothèques, deux œuvres peuvent être ainsi reliées par le hasard d’un navire (…)   Patrick Deville, L’étrange fraternité des lecteurs solitaires, Seuil, 2019, p.51  Crédit : photo de l'auteur Publié en 19 livraisons mensuelles en 1849-50, alors que Dickens est au sommet de sa gloire. Lu dans la traduction de Sylvère Monod pour Flammarion de 1978, reprise en 2015. Le meilleur, dans David Copperfield , est au début. Est-ce dû au mode d’écriture et de publication du feuilleton, qui force Dickens à une certaine longueur, banale à l’époque, mais aussi à une écriture au fil de l’eau, sans possibilité de revenir sur ce qui a déjà été publié, voire à quelques réajustements lorsque quelqu’un se reconnaît dans un personnage et formule des menaces ? Autrement dit : Dickens est-il plus libre et plus spontané dans les 200 ou 250 premières pages de cette édition qui en compte 947 ? En tout cas, ce

Livres lus en octobre 2019

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Descendances (1863) d’Adalbert Stifter La Fille de la nuit (1912) de Jack London Boîte noire (2019) de Tanguy Viel Icebergs (2019) de Tanguy Viel

'Le jour où Mr Prescott est mort' (1952-63) de Sylvia Plath : elle n'était plus là

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crédit : photo de l'auteur   Recueil publié par La Table ronde (collection La Petite Vermillon) en 2017 (première publication 1990). Réunit l’essentiel des nouvelles de Sylvia Plath (par ailleurs poétesse, Ariel , diariste et romancière américaine, autrice d’un unique roman, La Cloche de détresse , publié peu avant son suicide le 11 février 1963). Nouvelles traduites par Catherine Nicolas. La préface est signée Ted Hugues, célèbre poète anglais (auteur de l’excellent Contes d’Ovide ) et époux de Sylvia Plath. Je ne m’étendrai pas sur la polémique autour de leur relation (séparés un an avant la mort de S. Plath, Hugues exécuteur testamentaire, suspecté par des critiques d’avoir détruit la dernière partie du journal de son ex-femme, d’être responsable de sa mort et de celle, six ans plus tard, de sa maîtresse, également suicidée ; la tombe de Hugues est encore régulièrement profanée par des admirateurs·trices de l’écrivaine), mais je dirai simplement que cette pr

'Le métier' (1937) de Virginia Woolf : les sens cachés des mots comme des joncs dans le lit d'une rivière

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Crédit : photo de l'auteur Prononcé pour la première fois à la BBC le 29 avril 1937, ce texte, où Virginia Woolf s’interroge sur le métier d’écrire et sur le pouvoir des mots, a été publié chez Fata Morgana en 2013 dans une traduction de Dominique Aury, illustré par Pierre Alechinsky. Ce qui prouve, s’il fallait le prouver, que les mots ont bien peu de dispositions naturelles à être utiles. Si l’on s’obstine à les forcer à être utiles malgré eux, on s’aperçoit à ses dépens qu’ils indiquent la mauvaise direction, qu’ils trompent, et qu’ils blessent. On a été si souvent trompé par les mots, ils ont si souvent démontré qu’ils détestaient se rendre utiles, et qu’il est dans leur nature d’exprimer non pas un fait unique mais un millier de possibilités, qu’on a heureusement fini, à la longue, par en tenir compte. Pour continuer ce que je notais à propos de Quignard et de Ramuz : les mots font partie de ce qui ne saurait s’astreindre et se rapetisser à l’utile. Vo

'Moi et ma cheminée' (1856) de Herman Melville : loué soit Dieu pour la faillite !

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Crédit : photo de l'auteur   Zorba le Grec (1964), film de Michael Cacoyannis

'Une main' (1933) de Charles-Ferdinand Ramuz : commencer par la précision

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Crédit : photo de l'auteur Une main , édité en novembre 2018 aux éditions Zoé, est un journal de convalescence. 1931. Mois de janvier. Une plaque de verglas. Ramuz tombe et se brise l’humérus gauche. Il faut alors se remettre, se rééduquer, reprendre le travail qui tout d’un coup prend une autre dimension (ou bien sa véritable dimension se révèle-t-elle pleinement), car il faut faire des exercices, et tout ce que l’on faisait avant (couper les pages d’un livre, remplir une cigarette, écrire), sans y penser, doit être de nouveau pensé et considéré, avec effort, redevient un exercice – qu’il a toujours été. (Tous les extraits ci-dessous se suivent dans le texte) Un des signes qu’on va mieux, c’est le goût qu’on reprend aux choses qui vous entourent. La serrure d’une porte, la forme et la couleur des poutres du plafond, un bouquet de soucis sur le fond blanc du corridor. Toutes ces petites choses qui vous parlaient autrefois agréablement au passage, puis

'Les ombres errantes' (2002) de Pascal Quignard : l'utilité exubérante des choses inutiles (extrait)

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Crédit : photo de l'auteur Premier volume du Dernier royaume (qui en est à son dixième), Les Ombres errantes est paru chez Grasset en 2002. Les arbres qui ne peuvent pas être utilisés par les porteurs de lances, par les fabricants de palissades, par les fabricants de chariots, par les luthiers, par les fabricants de barques, connaissent l’utilité exubérante des choses inutiles. Dans leur ombre se réfugiaient Virgile, la fraîcheur du printemps, les abeilles qui vous importunent, ceux qui ne font rien, les lettres, ceux qui se touchent quand ils ont un peu bu, les morts, les fruits, les enfants, les grenouilles, les escargots, les arts, moi, vous. La répétition du mot « fabricants », trois fois, et la phrase qui se termine sur cette expression d’une justesse désarmante, comme souvent chez Quignard : « l’utilité exubérante des choses inutiles ». Et puis l’énumération, Virgile (avec lui Les Bucoliques et Les Géorgiques ), le printemps, les oisifs, l’érotisme, les